Adrien est né en 1992. Il a donc 18 ans. Nous avons 4 enfants, Adrien est le 3ème. A son grand désespoir, il est le seul garçon.
Comme la plupart des enfants PW, il était très hypotonique, ne criant pas et étant incapable de téter. Le diagnostic n’a pas été posé tout de suite. On a recherché différentes maladies métaboliques et neuromusculaires jusqu’à ce qu’on rencontre une neurologue qui a fait faire les bonnes recherches génétiques. A 6 mois, on savait. C’était en même temps un soulagement, on mettait un nom sur le problème d’Adrien et donc on n’était pas seuls, et un effondrement : notre enfant ne serait jamais comme les autres.
Les trois premières années ont été rythmées par les séances de kiné et de psychomotricité. Nous avons eu beaucoup de difficultés à commencer l’orthophonie car selon les dires des thérapeutes, il fallait que Adrien le demande ! Il s’éveillait lentement mais sûrement. On était admiratifs de chaque progrès. Tout ce qu’il acquerrait était acquis définitivement. C’était très rassurant et encourageant. Ses 2 sœurs aînées ne ménageaient pas leur peine. Elles étaient le plus possible avec lui, lisant des histoires, écoutant de la musique, essayant de le faire avancer. Je me rappelle des courses à plat ventre dans le couloir (c’était le mode de déplacement d’Adrien qui avançait à la force des bras). Il n’était pas toujours le perdant. Les bébés nageurs étaient également un moment de plaisir intense : Adrien une fois dans l’eau se distinguait des autres par son adaptation au milieu aquatique ; son hypotonie semblait disparaître.
Adrien est entré en maternelle à 3 ans. Il était à peine propre, ne marchait que depuis 3 mois et ne disait pas un mot mais nous croyions encore à une scolarité presque « normale ». On s’aperçoit maintenant qu’on pensait surtout à ce qu’il ferait plus tard « professionnellement ». On était prêt à le « pousser » pour qu’il y arrive.
En maternelle et en primaire, on a eu beaucoup de chance. il a eu des enseignantes toujours très à son écoute le poussant en tenant compte de son rythme. Les colères n’ont affolé ni les enseignants, ni les parents (c’était une petite école et tout le monde se connaissait), ni les enfants. A cette époque, les AVS n’existaient pas, mais grâce à la bonne volonté de chacun, ça a marché. Adrien était épanoui et heureux d’être à l’école.
Très rapidement, on a compris qu’il ne suivrait pas une scolarité normale ; ça allait trop vite pour lui. Il était souvent envahi par des angoisses et des idées fixes qui l’ont empêché de s’investir dans le scolaire. Cette constatation aurait été la même, je pense, si il y avait eu accompagnement par une AVS. Mais la prise de conscience a été assez douloureuse pour nous. Je me rappelle encore la réunion d’intégration en fin de maternelle où il a été décidé que Adrien irait en classe de perfectionnement et non en CP. On le savait, on se rendait compte qu’il ne pouvait pas suivre un CP classique, mais j’étais écroulée. Les personnes présentes ne comprenaient pas ma réaction car on en avait déjà parlé. Mais c’était le rêve de l’enfant parfait qui s’envolait totalement.
En primaire, (classe de perfectionnement et Cliss) les enseignants qui ont eu Adrien ont tous cru en lui. Il a appris à lire assez rapidement. Les livres l’attiraient et il pouvait passer (et il passe toujours) des heures à feuilleter des livres. Gabrielle, sa troisième sœur était bébé, et elle participait à faire avancer son frère. C’était lui qui, cette fois, racontait les histoires. Elle a elle aussi, à sa façon, participé à l’éveil de son frère, même si maintenant ce n’est pas aussi simple. En sortant de l’école primaire, il lisait couramment, et comprenait ce qu’il lisait.
L’apprentissage de l’écriture a été plus difficile. Adrien avait les poings serrés et il avait un défaut de motricité fine. Il n’y avait pas d’ergothérapeute à Blois (le Camps a ouvert quand il avait 7 ou 8 ans), mais il était passionné de musique et a voulu faire du piano. Son prof lui a fait prendre conscience de la présence de ses mains et de ses doigts, il a bien voulu tenir un crayon et apprendre à écrire. 11 ans après, il prend toujours des cours de piano avec le même professeur. C’est un moment de calme et de détente pour lui. Je ne l’ai jamais vu faire de crise dans ces moments.
Quant aux maths, c’est toujours complexe. L’enseignante de la Cliss m’avait fait cette réflexion : avec des enfants comme Adrien il faut tenir compte du résultat et non du chemin parcouru ; ils ont une logique totalement différente de la nôtre. Je crois qu’elle avait compris beaucoup de choses.
A la fin du primaire, on croyait encore à la possibilité d’une formation professionnelle. Adrien est entré en Segpa. Ce fut un fiasco total. Tout l’angoissait : le rythme, les profs différents, les salles qui changeaient ….. Il était tellement angoissé qu’il s’acharnait sur son appareil dentaire (on est allé 11 fois chez l’orthodontiste en 13 jours), puis ce fut une crise de spasmophilie (on l’a récupéré à l’hôpital…). A la rentrée des vacances de Toussaint, il intégrait l’UPI dans le même collège.
On ne regrette pas cet épisode. On a essayé, ça n’a pas marché. C’est tout. Adrien n’a pas vécu ça comme un échec. Dès qu’il est entré en UPI, tout a repris sa place.
Mais à partir de ce moment, on a pris conscience que le plus important était qu’Adrien soit bien et que ça ne passait pas forcément par des apprentissages scolaires. Mais c’était plus facile à dire qu’à faire.
La question s’est alors posée : que faire après le collège (en UPI). On ne voulait pas entendre parler d’établissement spécialisé. Ça nous faisait peur. C’était mettre Adrien définitivement dans la case « personne handicapée ». On nous disait qu’Adrien pouvait rester au collège jusqu’à 18 ans, mais l’hormone de croissance jouant en sa faveur, on le voyait mal rester avec des sixième ou des cinquième jusqu’à sa majorité.
Ce fut finalement Adrien qui a fini par faire la proposition. Il était au collège avec des jeunes qui étaient à mi-temps sur l’UPI et à mi-temps sur un IME. La description que lui faisaient ces jeunes de l’IME lui a donné envie d’aller voir. Il a été enchanté. Il est dans cet établissement depuis 3 ans.
Mais aujourd’hui, il se lasse de ce qu’on lui propose, et ce n’est plus aussi évident. Il voudrait travailler, mais on lui répond qu’il n’en est pas capable.
Il a voulu faire un essai à l’internat. Au début ça a été, mais il a fallu arrêter au bout de quelques mois. Vivre en collectivité était trop dur pour lui.
Avec le recul, on s’aperçoit qu’Adrien nous oriente beaucoup. Il a soif d’une certaine autonomie et d’une vie comme les autres. Quand on ne lui en laisse pas assez, il la prend.
Par exemple, depuis qu’il a découvert les joies du vélo, il peut se déplacer seul. La première fois qu’il a fait ça, on était au travail, il n’y avait personne à la maison et il a décidé d’aller chercher du pain. La nuit tombait ! Il avait 12 ans. J’étais furieuse. Mais quand des amis qui avaient croisé Adrien m’ont dit : « Super, tu le laisses aller maintenant tout seul ! En plus il est très prudent », on a décidé qu’il avait lui aussi droit à un peu d’air. Mais maintenant, on lui demande de nous dire quand il part et où il va.
Nous avons donc toujours essayé d’avoir une vie la plus « normale » possible. Adrien a toujours fait partie intégrante de la famille, mais c’est vrai que ce sont les autres membres de la famille qui vivent à la sauce PW : un seul menu à la maison …. évidemment PW, pas ou peu de restaurant, randonnées en montagne au rythme d’Adrien … Ce qui à certains moments cause des tensions au sein de la fratrie, voire un sentiment de frustration et d’injustice.
Maintenant qu’Adrien est plus grand, on se permet tous plus de « liberté ». Il y a 2 ans, on est tous partis en voyage itinérant aux USA. On a adapté pour que ça se passe bien : tout avait été prévu à l’avance. Ce fut 4 semaines super, tout le monde en a bien profité.
Ceci dit, on est pour l’instant un peu dans le brouillard, on ne sait pas trop vers où se tourner. « >On désire surtout qu’Adrien soit bien et heureux de vivre. On voudrait trouver un mode de vie où il ait une relative liberté, sauf évidemment en ce qui concerne la nourriture, qu’il puisse travailler en milieu protégé
Agnès Lasfargues