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Devenir adulte avec un syndrome de Prader-Willi, c’est très nouveau. Jusqu’à la création de l’association, l’espérance de vie était courte en France lorsqu’on naissait avec cette maladie. 20, 25 ans, disait-on autrefois. L’obésité, les troubles respiratoires, l’apparition d’un diabète, et leurs conséquences vitales apparaissaient comme une fatalité. Aujourd’hui, les enfants de la moitié des adhérents de Prader-Willi France sont devenus adultes. C’est la rencontre d’adultes minces et heureux de vivre en Suède, au Danemark, aux Etats-Unis qui a permis à quelques familles en France d’imaginer la possibilité d’un avenir différent pour leurs enfants, puis de se battre pour l’obtenir en créant l’association.
Du côté de nos enfants, que se passe-t-il aujourd’hui? L’adolescence est toujours un cap difficile à franchir, c’est vrai pour eux aussi. Malgré les diagnostics et les prises en charge précoces, l’association reçoit régulièrement des appels au secours d’écoles et d’établissements médico-sociaux désemparés devant des adolescents en crise qui mettent en échec les équipes éducatives et font exploser leurs familles. Bien difficile pour tout le monde d’imaginer au milieu de ces période douloureuses un avenir heureux, et pourtant…
Lorsque nous sommes partis vivre au Canada, ma fille de 14 ans n’avait pas encore de diagnostic. Nous avions un tel sentiment d’échec que j’avais parfois du mal à me lever le matin. Nous n’osions plus demander de l’aide. Elle ne retournait pas sa violence contre les autres, comme d’autres peuvent le faire, mais contre elle-même : automutilations, grattages, courbe de poids en forme de Tour Eiffel. Elle se refermait sur elle-même, peu ou pas d’amis. Ses frères et sœurs étaient en souffrance aussi. Comment même imaginer un avenir dans ces moments-là ?
L’école canadienne nous a beaucoup aidés, parce que nous maintenions un dialogue permanent et définissions ensemble, pas à pas, des objectifs communs et réalistes : Amélie ne s’aimait pas et ne prenait aucun soin d’elle-même, refusait de se laver, de se coiffer, et de mettre autre chose que les mêmes vêtements sales et déchirés. Un beau jour son professeur référent me dit: « Madame Nourissier, préparez-vous à aller magasiner, il va falloir ouvrir votre porte-monnaie ». Et l’équipe éducative, les copains ont commencé à la complimenter sur son apparence, l’encourager jusqu’à ce que, d’elle-même, elle me demande à renouveler sa garde robe. A midi, pour éviter qu’elle ne soit tentée par la « poutine » des copains (frites saupoudrées de fromage et arrosées de sauce), on l’a encouragée à jouer de la clarinette dans l’orchestre de jazz de l’école.
Isolée, maladroite, différente, et vulnérable, elle était la parfaite cible pour les moqueries et maltraitances. Un soir, elle rentre en sang et couverte de bleus : un grand adolescent de terminale coiffé d’une iroquoise bleue et rouge s’était amusé à la faire tomber devant l’arrêt de bus. L’école a organisé une réunion de conciliation, qui s’est terminée par des excuses, et ce jour-là Amélie a acquis un nouvel allié musclé pour la défendre dans la cour pendant les récréations.
Au moment où elle commence à trouver un équilibre, avec une amie de cœur, beaucoup de copains à l’école, des progrès en informatique, musique, français, un stage en bibliothèque réussi, des activités sportives adaptées, il faut rentrer en France. A 19 ans, ce n’est pas encore une adulte. Nous cherchons pendant deux ans une structure pour l’accueillir et un hôpital pour la prendre en charge (il nous faudra, pour obtenir une consultation pluridisciplinaire Prader-Willi dans un hôpital pour adultes, se battre et attendre le Plan National Maladies Rares).
L’école en France ne l’accepte plus, comment la préparer à s’intégrer et trouver un travail ? Nous finissons par trouver un centre d’adaptation à la vie et au travail, « Vivre Parmi Les Autres ». Le cœur serré d’angoisse, comme à toutes les rentrées scolaires. Il y a des ateliers qu’elle aime: apprentissage des transports, jardinage, peinture, préparation au travail, et surtout il y a des copains, qui ont des déficiences mentales, ou des troubles autistiques légers, comme elle. Elle découvre à 20 ans la vie d’adolescente avec des sorties en bande. Ses amis, bien prévenus, l’entourent et l’aident à respecter son régime : des cocas light pour toutes les sorties. Ils vont ensemble au cinéma, au théâtre, au bowling, à des fêtes où tout le monde danse ; les parents accueillent et surveillent de loin. Elle tombe amoureuse pour de vrai. Quelle importance qu’elle soit en retard, puisqu’elle n’arrête pas de progresser ! L’équipe, en lien avec nous, tâtonne pour voir jusqu’où on peut développer son autonomie : dans tous les domaines sauf la nourriture et l’argent. Avec précaution et beaucoup d’encouragements, et en évitant les échecs qu’elle supporte très mal.
Elle récupère et entasse tous les objets sur lesquels elle peut mettre la main, jusqu’au jour où ses affaires préférées disparaissent. Ce jour-là elle comprend enfin qu’il ne faut pas faire aux autres ce qu’elle n’aime pas qu’on lui fasse à elle-même.
Après plusieurs stages en milieu protégé et ordinaire, elle entre enfin à 24 ans dans un ESAT qu’elle a choisi. Avec le recul, c’était vraiment important qu’elle puisse le choisir, elle qui a par ailleurs tant de contraintes dans sa vie. Et le travail en ESAT n’est pas un long fleuve tranquille. Les journées sont longues et souvent fatigantes. Malgré l’envoi de documentation, beaucoup d’éducateurs refusent de connaître et prendre en compte sa maladie. Je la retrouve à la buvette lors des journées portes ouvertes. La négation de ce qu’elle est et de ce qu’elle vit la fait terriblement souffrir. Pendant deux ans, on lui refuse une chaise adaptée, alors qu’elle souffre d’une scoliose importante. Nous proposons d’en fournir une : refus, sous prétexte qu’il ne faut favoriser personne ! C’est le médecin du travail qui finira par l’obtenir, et qui insistera pour qu’elle travaille dans un environnement sans poussière, car la poussière déclenche chez elle des graves allergies et problèmes de peau.
Cependant, plusieurs éducateurs s’investissent, ainsi que la psychologue, pour l’aider. Et elle continue à progresser. Elle a le courage d’expliquer sa maladie à toute l’équipe de son atelier. Résultat: ses collègues lui apportent des collations sans calories à l’occasion des anniversaires et la soutiennent lorsqu’elle refuse d’emballer des chocolats à l’occasion de Pâques. Petit à petit, il n’y a plus de crise de colère à la maison et presque plus à l’ESAT. Après une crise, elle devient capable d’expliquer ce qui l’a déclenchée et de faire la paix avec la personne en cause.
Elle a trouvé son équilibre, et nous aussi. Nous ne sommes plus angoissés en permanence. A la maison, elle prépare elle-même ses repas avec des aliments adaptés qu’elle peut prendre dans le réfrigérateur de la cuisine. Les aliments interdits sont sous clé dans un autre réfrigérateur à la cave. Grâce à un excellent suivi médical dans le centre de référence de la Pitié-Salpêtrière , elle perd du poids, est plus tonique, ne souffre plus de narcolepsie. Elle est très appréciée dans son travail, et aime aider les autres. Son courage est un exemple pour tous, particulièrement ses frères et sœurs.
C’est un long chemin de devenir adulte, un peu plus long encore lorsqu’on vit avec un syndrome de Prader-Willi. Bien que son équilibre soit toujours fragile, avec un accompagnement adapté, elle est plus épanouie aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été.
Christel Nourissier
Mère d’Amélie, 32 ans