Elle a eu lieu à l'École Normale Supérieure de Lyon, le 9 octobre 2010 sur le thème Projets de vie.
Vous trouverez dans la suite de l'article le programme de la journée, le texte des interventions et la conclusion de François Besnier, Président de l'association.
Le texte des interventions paraîtra aussi dans le bulletin de Janvier 2011.
Programme de la journée :
Accueil des participants à partir de 8h00
8h30 – 9h30 Assemblée Générale
9h30 – 9h45 Présentation de la journée : François Besnier
9h45 – 10h15 : Pause café
10h15 – 11h45 Histoires de vies… 10h15 – 11h15 par des parents et des professionnels
11h15 – 11h45 Discussion avec la salle
11h45 – 13h15 Quels lieux de vie ? Pour quelles vies ?
11h45 – 12h15 Suzane Blichfeldt, membre du board IPWSO : L’expérience danoise
12h15 – 12h45 Denis Burel, directeur du CAPs (Carrefour d’Accompagnement Public Social), Meurthe et Moselle
12h45 – 13h15 Pierre Puyol, directeur du Foyer Castel Saint Louis, 32350 Ordon Larroque
13h15 – 14h30 : déjeuner (buffet sur place)
14h30 – 16h00 Du côté des parents, du côté des professionnels
14h30 – 15h00 Bertrand Dubreuil, sociologue, éducateur spécialisé, PLURIEL Formation
15h00 – 15h30 Dr. Denise Thuilleaux, psychiatre, Hôpital Marin d’Hendaye
15h30 – 16h00 Table ronde
16h00 – 16h30 Ce qu’ils nous disent … Interviews de « personnes PW » par Estelle Labarthe, journaliste
16h30 – 17h00 Pause café
17h00 – 17h45 Table ronde avec les différents intervenants de la journée et discussion avec la salle.
17h45 – 18h00 Présentation du groupe « Fratrie »
18h00 – 18h15 Conclusion de la journée : François Besnier
Histoires de vies…
Le parcours de Nicolas
Nicolas est né le 24 mai 1985, il a actuellement 25 ans.
Le syndrome de Prader-Willi a été détecté dès sa naissance par le caryotype réalisé à l’hôpital de Besançon. Ce n’est qu’à partir de 3 ans qu’une prise en charge en SESSAD a débuté. L’équipe éducative comprenait un psychomotricien, une orthophoniste et un éducateur.
Après deux années de maternelle en cursus normal, il est entré en classe spéciale (CLIS) où il y avait seulement 5 enfants, ce qui lui a permis de faire d’énormes progrès tout en ayant toujours un accompagnement avec le SESSAD.
Il a continué avec deux années de CLIS en primaire avec 10 enfants. Que de réussites !
Ensuite, il a été dirigé, avec notre accord dans un IME (de 9 à 14 ans) avec toute une équipe formidable et Nicolas s’est épanoui dans les apprentissages et a gagné en autonomie. Par exemple prendre le bus, se diriger dans une ville, faire ses achats…
A 14 ans il est entré dans un IES, vu son âge. Dans un premier temps il était demi-pensionnaire. Une période en internat a permis à la famille de souffler (car la vie en famille n’était pas toujours facile) puis il est redevenu demi-pensionnaire. Il est resté dans cet institut de 14 ans à 21 ans, avec comme objectif final un emploi dans un ESAT. Pendant ces 7 années en institut, il a continué d’acquérir de l’autonomie. Il a fait des stages dans différents ESAT pour finaliser la possibilité d’une orientation dans un certain travail. Nicolas est minutieux et maniaque.
De 5 ans à 21 ans, nous avons vécu différentes situations qui n’ont pas toujours été faciles, mais en nous disant que ça irait mieux le lendemain.
Actuellement, il vit seul dans un appartement et travaille dans un ESAT. Il est aidé par une personne (service accompagnement désigné par la MDPH) qu’il rencontre tous les quinze jours et qui l’accompagne dans ses démarches (RDV – papiers administratifs – logement). Il est suivi par un psychiatre.
Nicolas suit un traitement médicamenteux (1/2 cachet d’Haldol) qui lui permet d’être beaucoup plus posé et moins nerveux (car nos enfants ont du répondant et surtout lorsqu’ils sont en colère, plus rien ne compte, ils sont dans leur bulle).
Nicolas est solitaire, depuis qu’il travaille, il ne s’est pas fait de copains, ni lors de ses déplacements en bus. Il fait partie du Service loisirs de l’ADAPEI. Tous les mois des sorties sont organisées. Nicolas y participe. Il fait de l’aquagym une fois par semaine.
Nicolas gère son argent et ses comptes sur informatique. Il est très pointilleux et demande systématiquement des factures ou des reçus. Les professionnels qui l'entourent (Psychiatre, Psychologue, Diététicienne, Médecin de famille, ESAT, ADAPEI, Service d'accompagnement) sont à son écoute pour améliorer chaque jour son vécu.
Nous, parents, nous restons très présents, le mercredi soir et le samedi pour les courses ou les diverses manifestations. Le dimanche nous faisons le point.
Positif :
– Il fait tout pour avoir ce qu’il désire.
– Il est capable de beaucoup de choses (autonomie des transports, achats, gestion de l’argent).
– Il aime la musique, les chiens et regarde la télévision.
– Il est attaché à sa famille (grand-mère, tantes, petites cousines).
– Il connaît sa maladie et a beaucoup de mal à l’accepter. Il en souffre par période.
– Il reconnaît qu’il a besoin d’un accompagnement pour gérer ses repas.
Négatif :
– Lorsque la crise est là, il faut gérer ? Après ce passage il est conscient de ce qui s’est passé et devient très malheureux.
– Il ne peut absolument pas gérer son problème de nourriture.
Depuis tout petit, Nicolas avait un but : travailler. Il désirait comme chacun de nous posséder sa carte bleue, être dans son appartement et faire ses courses. Aujourd’hui, une partie de ses projets sont réalisés.
Michèle et Jean-Claude Brieger, ses parents
Le parcours d'Adrien.
Adrien est né en 1992. Il a donc 18 ans. Nous avons 4 enfants, Adrien est le 3ème. A son grand désespoir, il est le seul garçon.
Comme la plupart des enfants PW, il était très hypotonique, ne criant pas et étant incapable de téter. Le diagnostic n’a pas été posé tout de suite. On a recherché différentes maladies métaboliques et neuromusculaires jusqu’à ce qu’on rencontre une neurologue qui a fait faire les bonnes recherches génétiques. A 6 mois, on savait. C’était en même temps un soulagement, on mettait un nom sur le problème d’Adrien et donc on n’était pas seuls, et un effondrement : notre enfant ne serait jamais comme les autres.
Les trois premières années ont été rythmées par les séances de kiné et de psychomotricité. Nous avons eu beaucoup de difficultés à commencer l’orthophonie car selon les dires des thérapeutes, il fallait que Adrien le demande ! Il s’éveillait lentement mais sûrement. On était admiratifs de chaque progrès. Tout ce qu’il acquerrait était acquis définitivement. C’était très rassurant et encourageant. Ses 2 sœurs aînées ne ménageaient pas leur peine. Elles étaient le plus possible avec lui, lisant des histoires, écoutant de la musique, essayant de le faire avancer. Je me rappelle des courses à plat ventre dans le couloir (c’était le mode de déplacement d’Adrien qui avançait à la force des bras). Il n’était pas toujours le perdant. Les bébés nageurs étaient également un moment de plaisir intense : Adrien une fois dans l’eau se distinguait des autres par son adaptation au milieu aquatique ; son hypotonie semblait disparaître.
Adrien est entré en maternelle à 3 ans. Il était à peine propre, ne marchait que depuis 3 mois et ne disait pas un mot mais nous croyions encore à une scolarité presque « normale ». On s’aperçoit maintenant qu’on pensait surtout à ce qu’il ferait plus tard « professionnellement ». On était prêt à le « pousser » pour qu’il y arrive.
En maternelle et en primaire, on a eu beaucoup de chance. il a eu des enseignantes toujours très à son écoute le poussant en tenant compte de son rythme. Les colères n’ont affolé ni les enseignants, ni les parents (c’était une petite école et tout le monde se connaissait), ni les enfants. A cette époque, les AVS n’existaient pas, mais grâce à la bonne volonté de chacun, ça a marché. Adrien était épanoui et heureux d’être à l’école.
Très rapidement, on a compris qu’il ne suivrait pas une scolarité normale ; ça allait trop vite pour lui. Il était souvent envahi par des angoisses et des idées fixes qui l’ont empêché de s’investir dans le scolaire. Cette constatation aurait été la même, je pense, si il y avait eu accompagnement par une AVS. Mais la prise de conscience a été assez douloureuse pour nous. Je me rappelle encore la réunion d’intégration en fin de maternelle où il a été décidé que Adrien irait en classe de perfectionnement et non en CP. On le savait, on se rendait compte qu’il ne pouvait pas suivre un CP classique, mais j’étais écroulée. Les personnes présentes ne comprenaient pas ma réaction car on en avait déjà parlé. Mais c’était le rêve de l’enfant parfait qui s’envolait totalement.
En primaire, (classe de perfectionnement et Cliss) les enseignants qui ont eu Adrien ont tous cru en lui. Il a appris à lire assez rapidement. Les livres l’attiraient et il pouvait passer (et il passe toujours) des heures à feuilleter des livres. Gabrielle, sa troisième sœur était bébé, et elle participait à faire avancer son frère. C’était lui qui, cette fois, racontait les histoires. Elle a elle aussi, à sa façon, participé à l’éveil de son frère, même si maintenant ce n’est pas aussi simple. En sortant de l’école primaire, il lisait couramment, et comprenait ce qu’il lisait.
L’apprentissage de l’écriture a été plus difficile. Adrien avait les poings serrés et il avait un défaut de motricité fine. Il n’y avait pas d’ergothérapeute à Blois (le Camps a ouvert quand il avait 7 ou 8 ans), mais il était passionné de musique et a voulu faire du piano. Son prof lui a fait prendre conscience de la présence de ses mains et de ses doigts, il a bien voulu tenir un crayon et apprendre à écrire. 11 ans après, il prend toujours des cours de piano avec le même professeur. C’est un moment de calme et de détente pour lui. Je ne l’ai jamais vu faire de crise dans ces moments.
Quant aux maths, c’est toujours complexe. L’enseignante de la Cliss m’avait fait cette réflexion : avec des enfants comme Adrien il faut tenir compte du résultat et non du chemin parcouru ; ils ont une logique totalement différente de la nôtre. Je crois qu’elle avait compris beaucoup de choses.
A la fin du primaire, on croyait encore à la possibilité d’une formation professionnelle. Adrien est entré en Segpa. Ce fut un fiasco total. Tout l’angoissait : le rythme, les profs différents, les salles qui changeaient ….. Il était tellement angoissé qu’il s’acharnait sur son appareil dentaire (on est allé 11 fois chez l’orthodontiste en 13 jours), puis ce fut une crise de spasmophilie (on l’a récupéré à l’hôpital…). A la rentrée des vacances de Toussaint, il intégrait l’UPI dans le même collège.
On ne regrette pas cet épisode. On a essayé, ça n’a pas marché. C’est tout. Adrien n’a pas vécu ça comme un échec. Dès qu’il est entré en UPI, tout a repris sa place.
Mais à partir de ce moment, on a pris conscience que le plus important était qu’Adrien soit bien et que ça ne passait pas forcément par des apprentissages scolaires. Mais c’était plus facile à dire qu’à faire.
La question s’est alors posée : que faire après le collège (en UPI). On ne voulait pas entendre parler d’établissement spécialisé. Ça nous faisait peur. C’était mettre Adrien définitivement dans la case « personne handicapée ». On nous disait qu’Adrien pouvait rester au collège jusqu’à 18 ans, mais l’hormone de croissance jouant en sa faveur, on le voyait mal rester avec des sixième ou des cinquième jusqu’à sa majorité.
Ce fut finalement Adrien qui a fini par faire la proposition. Il était au collège avec des jeunes qui étaient à mi-temps sur l’UPI et à mi-temps sur un IME. La description que lui faisaient ces jeunes de l’IME lui a donné envie d’aller voir. Il a été enchanté. Il est dans cet établissement depuis 3 ans.
Mais aujourd’hui, il se lasse de ce qu’on lui propose, et ce n’est plus aussi évident. Il voudrait travailler, mais on lui répond qu’il n’en est pas capable.
Il a voulu faire un essai à l’internat. Au début ça a été, mais il a fallu arrêter au bout de quelques mois. Vivre en collectivité était trop dur pour lui.
Avec le recul, on s’aperçoit qu’Adrien nous oriente beaucoup. Il a soif d’une certaine autonomie et d’une vie comme les autres. Quand on ne lui en laisse pas assez, il la prend.
Par exemple, depuis qu’il a découvert les joies du vélo, il peut se déplacer seul. La première fois qu’il a fait ça, on était au travail, il n’y avait personne à la maison et il a décidé d’aller chercher du pain. La nuit tombait ! Il avait 12 ans. J’étais furieuse. Mais quand des amis qui avaient croisé Adrien m’ont dit : « Super, tu le laisses aller maintenant tout seul ! En plus il est très prudent », on a décidé qu’il avait lui aussi droit à un peu d’air. Mais maintenant, on lui demande de nous dire quand il part et où il va.
Nous avons donc toujours essayé d’avoir une vie la plus « normale » possible. Adrien a toujours fait partie intégrante de la famille, mais c’est vrai que ce sont les autres membres de la famille qui vivent à la sauce PW : un seul menu à la maison …. évidemment PW, pas ou peu de restaurant, randonnées en montagne au rythme d’Adrien … Ce qui à certains moments cause des tensions au sein de la fratrie, voire un sentiment de frustration et d’injustice.
Maintenant qu’Adrien est plus grand, on se permet tous plus de « liberté ». Il y a 2 ans, on est tous partis en voyage itinérant aux USA. On a adapté pour que ça se passe bien : tout avait été prévu à l’avance. Ce fut 4 semaines super, tout le monde en a bien profité.
Ceci dit, on est pour l’instant un peu dans le brouillard, on ne sait pas trop vers où se tourner. On désire surtout qu’Adrien soit bien et heureux de vivre. On voudrait trouver un mode de vie où il ait une relative liberté, sauf évidemment en ce qui concerne la nourriture, qu’il puisse travailler en milieu protégé
Agnès Lasfargues
Le parcours de Céline.
Comme pour la plupart des personnes Prader-Willi, le parcours de notre fille Céline a été atypique.
Elle a été diagnostiquée à l’âge de 5 ans mais dès l’âge de 3 ans, nous l’avions soumise à un régime alimentaire sévère, bien qu’ignorant tout de la maladie, (et ce, jusqu’à notre arrivée dans l’association en 1996).
Le menu était le même pour toute la famille.
Dès l’âge de 6 ans, Céline est allée à la cantine où elle bénéficiait d’une autonomie surveillée.
A la maison, la cuisine était ouverte pendant son enfance et son adolescence, le tiroir à goûter était en accès libre, mais le cadre était strict et le mot d’ordre : ne rien laisser passer.
Comme activités physiques, Céline a fait de la danse, du judo, et aussi de la gym jusqu’à ce qu’elle se rende compte de sa différence et qu’elle demande à arrêter
Pas ou très peu de crises de colère (1 à 2 par an) qui se traduisent par des pleurs.
La scolarité de Céline l’a menée jusqu’à un CAP Broderie.
Elle travaille en CAT depuis l’âge de 20 ans (c’était son souhait d'entrer dans la vie active, comme son frère, à 20 ans). Pour s’y rendre, elle fait 1 km à pied par jour, auxquels s’ajoute la piscine 2 fois par semaine.
Céline a été mise sous tutelle à sa demande dès l’âge de 18 ans.
Elle n’a pas d’autonomie financière.
Discipline et cadre de vie continuent d’être très stricts. Nous pensons que c’est rassurant pour elle car elle n’est pas capable de se poser elle-même des limites. Aujourd’hui ça fait partie de son éducation et de ses habitudes.
Anne-Marie JOLY
Quels lieux de vie ? Pour quelle vie ?
Une expérience danoise.
Suzanne Blichfeldt est la mère de deux garçons dont Mikkel, 30 ans, est atteint du SPW. Pédiatre à l’hôpital de Copenhague, conseiller médical au sein de l’IPWSO, elle nous raconte son histoire de vie au Danemark avec un enfant différent.
Le diagnostic du syndrome de Prader-Willi a été posé chez Mikkel en 1983, et immédiatement le but de Suzanne a été, comme il est toujours, qu’il soit heureux et ne devienne pas obèse. Il n’y avait alors au Danemark aucune information sur le SPW. Elle crée donc en 1986 l’association Prader-Willi danoise. Le but de l’association danoise est semblable à celui de PWF :
– rechercher et donner des informations sur le SPW aux familles et aux professionnels,
– éditer un journal, des brochures pour les centres hospitaliers, les écoles, le personnel accompagnant les personnes PW et, une particularité :
– une brochure « Comment créer une maison pour des adultes PW »
Pour bien vivre avec le SPW, il faut être heureux, être aimé et être sans inquiétude par rapport aux repas.Les professionnels doivent respecter les personnes PW.
Pour atteindre ces deux objectifs, les conditions indispensables sont les suivantes :
– une habitation permettant de définir des régimes adaptés aux besoins de chacun.
– un personnel ayant une connaissance profonde du SPW et sans préjugés,
– une acceptation empathique de la personne.
Avant 1980 au Danemark, la plupart des adultes déficients ou handicapés n’habitaient pas avec leurs parents ; de nombreux adultes PW habitaient dans des « mixed group homes (foyers)» de 5 à 7 résidents atteints de pathologies diverses. Mais les familles étaient inquiètes car les repas n’étaient pas adaptés aux PW.
En 1988 une initiative importante a fait évoluer la situation des adultes PW au Danemark. Dans un foyer vivaient (tout à fait par hasard) 2 adultes PW. Deux professionnels ayant compris que leurs besoins étaient différents de ceux des autres résidents, décident de créer un sous-groupe.
Quelles différences avaient-ils remarquées ?
– les « autres » sans le SPW avaient besoin d’apprendre comment vivre seuls ou avec un accompagnement pour faire les courses, préparer les repas, prendre le train… C'est souvent un des objectifs de ces foyers.
– Les deux professionnels comprirent que ce projet n’était pas réaliste dans le cas du SPW. ;
– Ils comprirent aussi que stimuler les personnes PW comme ils le faisaient avec les « autres » faisait preuve d’un manque de considération pour la personnalité des PW et était de l’ordre de la faute professionnelle.
C’est alors que je fus contactée pour présenter au personnel de ce foyer ce que nous connaissions du SPW. Ce fut la première rencontre d’information au Danemark; il y en a eu de nombreuses autres depuis.
Les deux professionnels à l’origine de cette initiative sont allés ensuite aux Etats-Unis pour visiter des foyers PW, puis ils ont écrit un livre : « L’histoire d’un frigo » (tous les conflits commencent devant un frigo) qui raconte les journées d’adultes PW, les bagarres, les colères, quand … et pourquoi.
Quelques exemples typiques qui peuvent déclencher des colères :
– ne pas dire clairement si le résident a droit à un peu plus d’un plat.
– l’accuser d’avoir pris quelque chose à manger sans permission.
– ne pas faire ce qui a été prévu ou bien ce qui était attendu ne se réalise pas.
– ne pas connaître le vécu, l'expérience de la personne.
– attendre de la personne un comportement incompatible avec le SPW.
Leur conclusion fut claire :
– le SPW est différent de toute autre maladie ou syndrome dans beaucoup d’aspects.
– le personnel est confronté à des situations qu’ils n’ont jamais rencontrées.
– il est indispensable que les professionnels aient une connaissance et une compréhension profonde du syndrome.
Comment faire alors ?
Les professionnels doivent prendre l’entière responsabilité des repas : courses, cuisine, service des repas. Chacun reçoit ce à quoi il a droit, et la quantité distribuée n’est pas discutée.
Cette organisation n’a pas été facile à mettre en place car tout le monde n’était pas d’accord (professionnels comme parents). Mais petit à petit, cette pratique a été acceptée et s’est développée dans d’autres foyers où se sont constitués des « sous– groupes de SPW ».
L’association danoise a été très sollicitée pour organiser de nombreuses réunions pour les professionnels qui accompagnaient les personnes avec le SPW.
SPW et les maisons PW aujourd’hui au Danemark
La population danoise est d’environ 5 millions et entre 150 et 170 personnes ont le SPW.
Il existe 11 foyers PWS où habitent environ 75 adultes de 18 à 60 ans, mais il y a toujours en moyenne, de 5 à 10 jeunes qui sont à la recherche d'un foyer.
Ces foyers sont très différents les uns des autres, il n’y a pas de foyer modèle. Ils sont vieux ou neufs, en ville ou à la campagne, le nombre de personnes qui y vivent ensemble est très variable (2 à 12). Mais ils ont une structure fondamentale commune et le personnel a une formation pédagogique spécifique, ou bien ce sont des assistants sociaux.
La première maison louée dans un petit village a ouvert en 1999 avec 5 jeunes PW de 18 à 23 ans, et parmi eux Mikkel. C’était une habitation temporaire car les jeunes allaient dans la journée dans une école spécialisée. Chacun avait sa chambre, ainsi que le personnel de nuit.
Durant tout le premier mois qui a précédé l'ouverture, le personnel a été formé sur les particularités du SPW. Les jeunes sont arrivés à la fin du mois.
Chaque adulte a une personne référente qui l’accompagne dans toutes les tâches de la vie courante comme :
– les contacts avec la famille,
– les courses personnelles,
– les visites médicales,
Cette personne référente doit bien connaître « son PW », et l’adulte doit solliciter son référent pour ses questions personnelles, privées.
Deux, trois ans plus tard, ces 5 jeunes ont eu besoin d’une habitation permanente adaptée à leur rythme. D’autres adultes cherchaient également une maison …
Alors …
La région a eu le courage de se lancer dans un projet spécifique PW. Un architecte informé sur le SPW a créé une maison avec 8 appartements de 2 pièces (chambre, salon, salle de bain), regroupés en 2 groupes avec cuisine, salon, salle à manger, buanderie, salle de gym, etc. en commun.
Organisation des repas en semaine :
7.30 : petit-déjeuner – 10.00 : café, pain – 12.30 : déjeuner – 15.00 : café, pain, fruit – 18.00 : dîner chaud – 20:30 : boisson, pain, fruit.
Les repas sont préparés par la cuisinière selon les conseils d’une diététicienne. Tous les repas sont servis individuellement « comme au restaurant » (les portions sont variables car adaptées aux personnes).
Le travail
Les tâches sont diverses et organisées selon les capacités et besoins individuels.
Chaque adulte a son plan de semaine personnel avec des activités communes ou individuelles.
Une fois par semaine, il y a une séance de physiothérapie, et 2 à 3 fois par semaine, il y a natation ou cheval.
Les adultes et le personnel
8 adultes habitent « Pomme de sapin », 5 hommes de 25 à 33 ans et 3 femmes de 19 à 30 ans. Un directeur et 17 personnes sont présents 37h par semaine. La cuisinière vient tous les matins (3 à 5h).
Qui paie ?
L’adulte PW a une pension d’invalidité suite à l’évaluation de son incapacité à travailler. La personne peut donc travailler selon ses possibilités mais dispose d’un revenu pour son logement, ses repas, ses vêtements, ses loisirs… La région paie le personnel et une partie de l’hébergement.
« Pomme de sapin » est une maison régionale mais il existe aussi des maisons communales PW et des maisons privées (la région participe également).
Pour conclure, cet exemple peut être imité partout, une maison identique existe au Groënland dans laquelle habitent ensemble 2 jeunes (un homme et une femme) accompagnés par 7 personnes.
Comment construire un projet de vie en institution.
Denis Burel, directeur du CAPs (Carrefour d’Accompagnement Public Social) Meurthe et Moselle, est intervenu lors de la journée nationale du 8 octobre 2010 à Lyon. Le thème de la journée étant « Projet de vie, pour eux et avec eux », il a choisi d’y répondre sous l’angle des institutions, des établissements et des services parce que cela fait 43 ans qu’il travaille dans ce domaine, qu’il a 35 ans de direction et plus de 40 ans d’engagement associatif dont près de 30 ans au GEPSO dont il a inventé le concept.
Il nous a donc proposé une réflexion sur la participation des usagers – quel que soit leur handicap – sur le partage et la fraternité ainsi que sur les pratiques professionnelles permettant de bien placer l’usager au centre de la vie institutionnelle. Voici les grandes lignes de son intervention.
Dans un premier temps, il a examiné les demandes faites aux institutions, établissements et services – demandes émanant de la société, c’est à dire du législateur (lois de 1975, 2002 et 2005), des associations de personnes handicapées, parents et amis, enfin des usagers eux-mêmes et des professionnels. Il en a conclu que la demande sociétale était en forte évolution depuis les années 50 : les personnes handicapées, autrefois exclues de la société et dont la loi de 1975 avait fait des spectateurs tolérés sont devenues des acteurs de la vie en société à la suite des lois de 2002 et 2005.
Il s’est ensuite interrogé sur les conditions favorisant au sein de l’institution l’inclusion ou l’exclusion sociale des usagers. Comment garantir leurs droits tout en prenant en compte leurs difficultés ? Pour cela, l’institution doit être en réseau permanent avec son environnement, garantir le respect et l’écoute de l’usager, la recherche de son consentement éclairé tout en évitant la surprotection. Elle doit accompagner (faire avec) plutôt qu’assister (faire à la place de). Elle doit être un lieu de débat, d’échange, de tolérance et de solidarité.
Une fois posé le décor institutionnel et ses enjeux, comment construire un projet de vie où l’usager est réellement acteur et partenaire ? Le projet de vie part de l’expression des désirs de l’usager, auxquels il faut ajouter les attentes des familles tout en tenant compte des missions et limites de l’établissement. Il évolue tout au long de la vie : construit avec les parents dans la petite enfance, il prend en compte l’avis de l’enfant par la suite ; pendant l’adolescence, c’est une co-construction enfant-parent ; il sera ensuite construit par l’enfant devenu adulte lorsque son degré de handicap le permet.
C’est une constante recherche d’équilibre entre les désirs, les besoins et les capacités des personnes porteuses d’un handicap. La grande majorité des enfants et des adolescents souhaitent aller à l’école, avoir des amis, jouer et sortir, avoir des activités. La majorité des adultes, hommes et femmes, souhaitent avoir un logement, une famille (à deux, avec des enfants), des amis, une activité (professionnelle, para-professionnelle, loisirs) ; vivre en milieu ordinaire mais non isolé, être libres de leurs choix, avoir des revenus. En somme, ils sont comme tout à chacun ou chacune d’entre nous.
Pour rendre l’usager acteur et partenaire il faut les conditions suivantes :
- Aborder avec l’usager son parcours de vie, faire le bilan de sa situation actuelle et définir ses besoins, ses désirs
- Définir des objectifs (deux ou trois) à court et moyen terme (1 à 3 ans), arrêter des actions pour y parvenir, définir des critères d’évaluation et des critères de révision ou d’ajustement des objectifs
- Etre à son écoute, comprendre ses demandes, les reformuler clairement
- Négocier le réalisable du non réalisable, revoir à la hausse ou à la baisse les objectifs
- Ne pas juger les demandes, être bienveillant tout en sachant refuser mais faire des contre propositions ou de nouvelles propositions
- Enfin éviter les projections personnelles : nous aidons à la formulation du projet de l’usager. Cependant selon les difficultés des usagers, on peut être amenés à faire intervenir un tiers : famille, représentant légal, référent.
En conclusion :
Le projet de vie doit être régulièrement ajusté, compte tenu de l’évolution de l’usager et de son environnement. Comme tout un chacun, la personne handicapée doit ajuster ses désirs à ses compétences, ses potentialités, ses moyens. Un accompagnement est nécessaire pour pallier ses difficultés et lui permettre d’espérer – à condition que cet accompagnement soit libératoire et non enfermant.
L’accueil en institution peut être un moyen de réaliser son projet de vie si l’établissement tout en palliant les difficultés et les conséquences des handicaps co-construit avec l’usager et sa famille un projet de vie où celui-ci sera réellement acteur et partenaire.
Mais pour co-construire un véritable projet de vie dans la cité, il faut que l’institution soit facteur d’inclusion, non d’exclusion.
Autrement ce serait un projet d’enfermement et non de vie.
Du côté des parents, du côté des professionnels.
Des bonnes raisons de l’autre et de la nécessité d’un objet tiers
Propos décalé
Je ne connais pas le syndrome de Prader-Willi dans les troubles qu’il occasionne, sauf ce que j’ai pu en découvrir dans quelques documents. Je ne suis pas un professionnel ayant accompagné des jeunes atteints par ce syndrome.
Je ne suis pas un parent d’enfant atteint de ce syndrome.
Mais je suis un ancien professionnel du secteur médico-social, maintenant formateur et j’ai analysé des situations rencontrées par les professionnels avec les parents, que j’ai relatées dans un ouvrage. Enfin je suis aussi parent d’un enfant sourd profond qui est maintenant adulte.
Ce qui peut – j’espère – vous servir dans ma participation à votre réflexion, c’est le caractère décalé de mon point de vue. Extérieur – connaissant mal le syndrome, non professionnel auprès de jeunes ou d’adultes touchés par ce syndrome – et en même temps concerné – parent d’un enfant avec un handicap, formateur dans le secteur médico-social.
Au cours du travail préparatoire avec M. Besnier, j’ai essayé de me représenter ce que pouvait être votre vécu de parents. J’ai exploré diverses hypothèses sur la difficulté éprouvée par un parent lorsqu’il rencontre les professionnels d’un établissement ou d’un service médico-social. Sentiment d’échec ? Sentiment d’abandon ? Soulagement mais aussi culpabilité à la perspective d’alléger une vie quotidienne accaparante et/ou conflictuelle ? Inquiétude devant l’ignorance par les professionnels des caractéristiques du syndrome et donc de la nécessité de modalités d’accompagnement très particulières ?
En sollicitant auprès de M. Besnier des informations sur les caractéristiques du syndrome et sur votre état d’esprit de parents, je tentais de m’approprier une réalité étrangère. Et je me suis aperçu que je le faisais par comparaison avec mon vécu de parent d’un enfant sourd.
Comparer, ce n’est pas assimiler, c’est identifier ce qui ressemble et ce qui distingue. Nous passons notre temps à comparer ce qui nous est nouveau et inconnu à ce que nous connaissons intimement, ce dont nous avons fait l’expérience. Car nous apprenons toujours à partir de quelque chose que nous savons déjà. C’est toujours à partir de schèmes de pensée antérieurs, élaborés par expérimentation de situations vécues, que nous appréhendons des réalités nouvelles.
En l’occurrence, je pouvais faire ce travail mental, avec la dimension empathique qu’il nécessitait pour supposer les sentiments éprouvés, je pouvais le faire parce que j’avais le vécu d’un parent d’enfant handicapé. Ce que j’avais vécu avec mon propre enfant me semblait avoir quelques ressemblances avec ce qu’évoquait mon interlocuteur. En même temps, ce qu’il me disait m’amenait à penser que c’était plus compliqué, plus contraignant pour l’existence familiale, plus dramatique parfois que ce que j’avais vécu de mon côté.
Or cette élaboration empathique, les professionnels que vous rencontrez sont en difficulté pour la faire. D’abord parce que, comme tout un chacun, ils éprouvent cette angoisse que nous refoulons tous devant la souffrance, la maladie, la déficience d’une fonction essentielle. Ensuite parce qu’ils n’ont pas fait l’expérience personnelle d’un enfant avec un handicap, ils se sentent donc inexpérimentés en la matière. Et enfin, parce qu’ils se sentent d’autant plus inexpérimentés que votre connaissance des caractéristiques du syndrome est infiniment supérieure à leur ignorance dans le domaine. Vous les fragilisez donc dans leur identité professionnelle, car celle-ci repose sur la connaissance des troubles de la population qu’ils accompagnent.
Je reviendrai sur cette position fragilisée, mais je voudrais d’abord confirmer votre responsabilité première dans le développement de votre enfant et situer les rôles respectifs du professionnel et du parent au regard de la spécificité qu’implique le handicap.
Autorité parentale
D’abord je rappelle ce fait d’une telle évidence que nous l’oublions : en déclarant votre enfant à l’état-civil à sa naissance, vous devenez parents, alors que vous n’étiez encore que géniteurs. C’est votre enfant qui vous a fait parent lorsque vous avez reconnu en être l’auteur. Par cette reconnaissance vous avez pris la responsabilité de l’éduquer. Ou plus exactement, la société vous a attribué cette responsabilité sous le titre d’autorité parentale. Elle vous a chargés de le protéger, d’assurer sa sécurité, sa moralité, les soins relatifs à son développement. L’autorité parentale vous a été conférée par la société.
Evidemment, vous souhaitiez élever cet enfant, il n’en reste pas moins que c’est la société qui vous en a confié la responsabilité. Cela valide votre rôle de parent devant les professionnels. Ce que vous leur dites à propos de votre enfant, ce ne sont pas tant vos attentes, que ce que vous considérez être les besoins de votre enfant. Ce ne sont pas votre désir, vos affects, mais d’abord ce que vous pensez nécessaire à votre enfant.
Cela ne veut pas dire que vous avez toujours raison, car vous êtes impliqués dans les enjeux complexes de l’affection familiale. Les professionnels sont moins impliqués que vous et leur point de vue peut être précieux. Ils ont été missionnés par les pouvoirs publics pour contribuer à l’éducation de votre enfant au regard de diplômes qui attestent de leurs compétences dans le domaine. Mais vous n’avez pas à considérer que votre point de vue a moins de valeur que le leur. Vous devez soutenir le vôtre tranquillement mais assurés de vous-mêmes, sans agressivité ni prétention excessive, à l’écoute des arguments des professionnels, pour essayer de trouver ensemble les dispositions les plus appropriés au contexte.
Second élément pour assurer votre position de parents, les lois du 2 janvier 2002 et du 11 février 2005 ont affirmé clairement les droits des usagers et la responsabilité première des parents dans l’orientation de leur enfant. Vous n’êtes donc pas en situation de quémander un accueil mais de faire valoir un droit. La Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées – la CDAPH – a établi un plan de compensation au regard d’un projet de vie et lorsque vous contactez l’établissement ou le service vers lequel vous avez été orienté, vous vous adressez certes à une instance privée mais qui exerce une mission de service public. L’établissement ou le service peuvent estimer ne pas disposer des moyens lui permettant de répondre aux besoins de votre enfant, mais il doit alors l’argumenter a contrario de l’orientation prononcée par la CDAPH
Dans la rencontre avec les professionnels, vous êtes citoyens en position de responsabilité d’un enfant qui a un développement spécifique, donc en responsabilité de vous assurer qu’il bénéficie d’une prise en charge appropriée à ses besoins. Encore une fois, je ne dis pas cela pour que vous preniez une position haute dans l’échange avec les professionnels, pour que tentiez de les impressionner ou de les acculer à leurs obligations, mais pour que vous les abordiez avec une tranquille assurance. Sans être dans une position revendicative, vous les rassurez par la connaissance de vos droits, car ils supposent alors que vous assumez vos responsabilités, et donc qu’ils peuvent compter sur vous.
Enfin, dernier point relatif à votre responsabilité de parents, j’évoque ce que Didier Houzel appelle pratique de la parentalité et expérience de la parentalité. La pratique de la parentalité, c’est l’ensemble des conduites éducatives concrètes, l’ensemble des actes éducatifs effectués quotidiennement par les parents. L’expérience de la parentalité, c’est l’expérience affective intense avec notre enfant, cet être qui nous prolonge, qui, tout petit, était complètement dépendant de nous et qui prend peu à peu son indépendance en nous le faisant sentir parfois violemment.
Cette expérience est d’abord blessée par la découverte du handicap, puis nous nous efforçons de la restaurer jour après jour avec des sentiments variables et des conduites que nous adaptons au handicap de l’enfant. Le problème c’est que, si ces conduites gagnent en technicité, elles perdent en spontanéité, affectivité, authenticité. Or, être parent ne relève pas de techniques, de compétences à acquérir comme le prétendent certains. On devient parent tout simplement au fil des relations vécues avec son enfant.
Quand vous devez imposer certaines exigences comportementales à votre enfant, vous êtes durement engagés dans votre parentalité, de façon souvent conflictuelle et avec le risque de raidir la relation. Etre parent d’enfant avec un handicap oblige en effet à penser ses gestes, ses attitudes, à les construire de façon appropriée aux spécificités de l’enfant, autrement dit, si je reprends la distinction de Didier Houzel, cela conduit à développer des pratiques de parentalité spécialisées, au détriment de la spontanéité de l’expérience de la parentalité.
Le rôle des professionnels est précisément de vous soulager, autant que faire se peut, de ces pratiques de parentalités conditionnées par le handicap, pour vous permettre de mieux vivre votre expérience de parentalité. Pourtant, vous ne leur devez rien, vous vous devez à votre enfant et à vous-mêmes, à ce souci de vivre le plus heureusement possible pour vous-même et pour lui, tandis que des professionnels se chargent pour partie des contraintes du handicap.
Quant aux propos qu’on pourrait vous tenir sur un supposé sentiment de culpabilité pour avoir mis au monde un enfant avec un handicap, ces propos, envoyez-les au diable ! Quelle que soit parfois la réalité de sentiments contradictoires que nous pouvons éprouver devant le handicap de notre enfant, je me méfie profondément de ceux qu’on nous attribue sans que nous les ayons évoqués, car cela vient invalider notre discours parental. Vos sentiments, c’est votre affaire, une intimité psychique que vous devez revendiquer. Parlez-en si vous en éprouvez le besoin pour vous-mêmes et votre enfant, mais ne vous mettez pas en position dominée, n’acceptez pas qu’on vous attribue des sentiments que vous-mêmes n’avez pas formulés.
Du côté des professionnels
Je reviens maintenant sur ma position un peu décalée de professionnel du handicap – formateur – parent d’un enfant avec handicap, je reviens sur le fait qu’elle m’incite à essayer de memettre à la place de l’autre pour comprendre les bonnes raisons qu’il a de se comporter comme il le fait.
Dans des colloques de professionnels, quand je développe un discours sur la responsabilité, la place, le vécu des parents, je ne dis pas que je suis le père d’un enfant avec une surdité profonde. Je ne le dis pas, car lorsqu’il m’est arrivé de le faire, dans des circonstances où je rencontrais à la fois des parents et des professionnels, je me suis aperçu que mon discours relatif aux parents perdait de la validité aux yeux des professionnels. Je pouvais développer le même argumentaire, m’appuyer sur les mêmes éléments d’anthropologie, de sociologie, de psychologie, faire valoir les mêmes références d’auteurs reconnus, je devenais moins convaincant. Le fait qu’ils sachent que j’étais le père d’un enfant sourd venait déprécier mon propos.
Je fais l’hypothèse qu’en étant identifié aussi comme parent et non plus seulement comme formateur consultant professionnel, je perdais ma compétence d’expert, détenteur d’un propos de caractère technique, conceptualisé, distancié de l’émotionnel. Je redevenais un être humain sans attributs de savoirs professionnels.
Je fais l’hypothèse que ce basculement dans la simple humanité convoquait les professionnels à un échange moins protégé, moins distancié par la technicité, que je les rappelais sans le vouloir à leur position de parents ou futurs parents. Pas nécessairement à la crainte que cela pourrait aussi leur arriver d’avoir un enfant avec un handicap, mais plus simplement au fait que nous étions aussi en train de parler de leur intimité de parents ou de futurs parents, alors qu’ils étaient venus m’écouter avec la protection de leur position professionnelle. Et que j’en savais plus qu’eux dans l’ordre des sentiments, dans la connaissance vécue de la situation de handicap et de ce que cela déclenche comme sentiment chez les proches de celui qui a un handicap, devant cette inquiétante étrangeté des sentiments que cela déclenche en nous.
Je suppose donc que lorsque les professionnels que vous rencontrez sont distants, hostiles, procéduriers, maladroits, blessants, c’est parce qu’ils vivent la situation dans leur humanité plus que dans leur professionnalisme, parce que, devant le syndrome de Prader-Willi, ils ne disposent pas de la technicité qui leur permettrait de tenir à distance l’humanité des parents qu’ils rencontrent. Paradoxalement, pour vous accueillir avec bienveillance, ils ont besoin d’être professionnels, techniciens, experts. C’est ce qui leur permet d’accueillir en humain protégé la difficulté que vous leur amenez et la souffrance qu’ils supposent chez vous. Il faut qu’ils puissent s’en mettre à distance par la connaissance qu’ils ont du handicap et des réponses à y apporter.
L’insistance actuelle sur la responsabilité première des parents dans les choix éducatifs concernant leur enfant, est certes un atout pour vous aujourd’hui. Mais elle réactive, réveille, peut-être aussi cette vieille appréhension des professionnels – certainement inconsciente – cette crainte des professionnels d’être soumis à un rapport de domesticité. La figure inversée du paternalisme caritatif, qui domine l’exclus, l’infirme, par sa générosité moralisante, c’est celle du précepteur au service de la famille aisée, chargé de l’éducation des enfants contre des gages. La propension de certains à soutenir le fait que les usagers sont des clients peut entretenir ce fantasme de la domesticité. Le client est roi. Il paye pour être servi. En tant que professionnel, je dois m’y soumettre.
On entend beaucoup les professionnels s’inquiéter de la place accordée aux parents par les lois du 2 janvier 2002 et du 11 février 2005. Ils avancent souvent l’inconséquence de certains parents, leur déni de réalité devant le handicap, la culpabilité d’avoir un enfant avec un handicap, la surprotection réactionnelle dans les conduites éducatives, ou à l’inverse une insuffisante implication dans le projet individuel de l’enfant. Bien que ces propos soient largement contrebalancés par une intention générale de concertation, de collaboration avec les parents, ils témoignent d’un sentiment de fragilisation statutaire des professionnels devant l’obligation qui leur est faite de considérer les parents comme des acteurs déterminants dans l’accompagnement du jeune qu’ils accompagnent.
Du côté des parents
Or vous, parents, il vous est difficile de vous positionner tranquillement, avec une tranquillité suffisante pour rassurer les professionnels sur le fait que vous ne mettez pas en cause leur compétence et donc leur identité professionnelle.
D’une part vous assumez au quotidien un handicap qui vous soumet à des contraintes lourdes pour en contenir les troubles. D’autre part vous êtes éventuellement parvenus à ce que votre enfant soit maintenu dans un circuit ordinaire ou proche de l’ordinaire. L’admission dans un IMPro, un ESAT ou un foyer occupationnel coïncide donc avec la douloureuse évidence qu’il ne pourra sans doute pas mener une existence autonome comme l’aurait supposé un développement relativement proche de la normale au moins dans certains domaines. Enfin, d’une part l’établissement susceptible d‘accueillir votre enfant prend en charge des jeunes plus lourdement handicapés et d’autre part il ne connaît pas les caractéristiques des troubles relatifs au syndrome de Prader-Willi, tandis que de votre côté vous êtes bien placés pour savoir l’importance de les connaître, pour prendre au quotidien une série de précautions et ne pas interpréter certains comportements de façon erronée.
Dans certains cas vous êtes tentés de ne pas dramatiser ces comportements pour éviter qu’ils provoquent un refus d’admission ou se traduisent par des contraintes excessives, des réactions injustement punitives. Dans d’autre cas – ou en même temps – vous tentez de prévenir les professionnels d’erreurs quasi-certaines. C’est donc dans de mauvaises conditions d’authenticité que vous abordez les rendez-vous d’admission ou de projet individuel, avec sans doute des mécanismes de dissimulation, une anxiété sous-jacente, une formulation tendue dans vos conseils.
Vous considérez que les professionnels devraient prendre en compte les facteurs qui rendent complexe votre positionnement. Mais votre désarroi se double de leur ignorance du syndrome. Vous les troublez doublement : par votre humanité inquiète et par votre connaissance du syndrome. Sans dramatiser, parce que les situations sont en général plus nuancées et que souvent chacun s’efforce d’ajuster un peu ses attitudes, il me semble que c’est une position quasi impossible que vous devez assumer en tant que parent lorsque vous vous adressez à établissement, quasi impossible car vous êtes à la fois désemparé dans la mesure où cet établissement accueille des jeunes plus déficitaires que votre enfant, à la fois demandeur, donc dépendant de votre interlocuteur, à la fois inquiet de la façon dont il se comportera avec votre enfant, et donc à la fois donneur de conseils professionnels à un professionnel qui en perd sa qualité de professionnel.
Position quasi impossible que vous parvenez peut-être à tenir, mais aussi position difficile dans laquelle vous mettez le professionnel à votre corps défendant, car il est interpellé dans son humanité, sollicité pour accueillir votre enfant et fragilisé dans son professionnalisme par son ignorance du syndrome.
L’association
Il me semble donc que, si vous pouvez assumer votre propre difficulté à demander l’accueil de votre enfant dans un établissement médico-social, vous n’êtes pas en mesure de résoudre celle des professionnels. Vous pouvez toujours penser qu’ils ont tort, qu’ils pourraient tout de même… qu’ils devraient… vous pouvez souhaiter ou reprocher, ça ne changera pas leur réalité.
Si au contraire, nous essayons de nous mettre à leur place, en nous disant que, compte tenu de la situation dans laquelle ils se trouvent avec vous, ils ont des bonnes raisons de se conduire comme ils le font, – ce qui ne veut pas dire qu’ils ont raison – si nous prenons donc en compte leurs bonnes raisons, il faut chercher la solution en-dehors de l’interaction dans laquelle vous êtes engagés avec eux. Il faut introduire un objet d’échange pour faciliter le dialogue, ce qu’on appelle aussi un tiers ou une médiation.
L’objet, la médiation, me semble-t-il, c’est la connaissance objectivée du syndrome. Une connaissance que vous ne pouvez vous-mêmes apporter aux professionnels, parce que vous êtes en position de parents et non d’experts, parce que la relation qu’ils doivent développer avec vous est une relation de professionnel à parent et non d’apprenant à expert. C’est donc l’association qui peut apporter cette connaissance objectivée, parce qu’elle n’est pas en position de parent de l’enfant qu’ils vont accueillir. Elle constitue une instance reconnue qui a acquis une expertise, elle ne développe pas une interaction qui interpelle directement les professionnels dans leur humanité car elle ne se présente pas comme parent mais comme expert.
J’ai pris connaissance du montage vidéo que l’association utilise pour informer les professionnels des caractéristiques du syndrome de Prader-Willi. Il me semble que, si j’avais une recommandation à formuler – et je suppose qu’elle vient confirmer ce que vous faites déjà – ce serait d’accompagner toute demande d’admission dans un établissement ou un service d’une intervention experte par l’association.
Certains parents peuvent être réticents devant cette perspective, parce qu’ils craignent d’effrayer ainsi les professionnels et de provoquer un refus d’admission ou des conduites de rejet.
Or c’est justement l’ignorance, l’absence d’information qui suscite l’angoisse, tandis que l’information objective le fantasme. L’information transforme l’angoisse en inquiétude parce qu’elle confronte à la réalité. Et l’inquiétude n’est pas une émotion irrépressible mais un sentiment qui peut-être travaillé par l’échange informatif.
L’existence de votre association, l’information qu’elle délivre dans ses interventions auprès des professionnels est donc un support précieux pour familiariser les professionnels au syndrome de Prader-Willi et faciliter l’entrée en relation des parents et des professionnels. Vous avez là, me semble-t-il, un objet tiers, une médiation qui permet aux professionnels de se mettre à votre niveau d’expertise, de trouver ainsi, avec vous, leur place de professionnel et donc de vous accueillir en tant que parents, responsables de l’éducation de votre enfant, éprouvant des sentiments qui doivent être écoutés comme tels.
Bertrand Dubreuil, sociologue, éducateur spécialisé, PLURIEL Formation
Le service SSR (Soins de Suivi, de Réadaptation et de Réhabilitation) à Hendaye.
Le Dr Denise Thuilleaux (Psychiatre – Hôpital marin de Hendaye) nous a présenté le service SSR (Soins de Suivi, de Réadaptation et de Réhabilitation) qui accueille à Hendaye depuis déjà onze ans par groupes de 24 des adultes présentant soit le syndrome de Prader-Willi, maladie rare à expression psychiatrique, soit un syndrome apparenté. Nous en présentons ici les grandes lignes. Le texte complet de l’intervention du Dr Thuilleaux peut être consulté sur l'espace santé.
Un des principes fondateurs du projet est de soigner la personne dans sa globalité.
A Hendaye, les patients bénéficient 24h/24 d’une prise en charge globale par une équipe pluridisciplinaire. Les problèmes pris en charge peuvent être médicaux, cognitifs, psychiatriques… ainsi que des problèmes de comportement et de personnalité, dont les troubles alimentaires.
La tranche d’âge la plus représentée va de 20 ans à 30 ans, mais les patients sont acceptés à partir de 17 ans. Sont écartées les personnes présentant des problèmes somatiques ou psychiatriques en phase aiguë ou celles qui, au grand dam de leur famille, ne manifestent pas l’envie d’aller en séjour à Hendaye. En effet, le programme thérapeutique a valeur contractuelle et nécessite l’adhésion du patient.
S’appuyant sur l’observation de plus de 230 patients, le Dr Thuilleaux et son équipe ont pu établir un profil psychopathologique commun basal auquel peuvent se superposer une organisation en strates de différents types : impulsif, compulsif ou plus rarement psychotique.
Les séjours, généralement d’un mois, se déroulent de la façon suivante :
– établissement d’un dossier de préadmission
– réunion d’accueil du patient et de sa famille, au cours de laquelle les objectifs sont fixés :
– perte de poids
– bilan et régulation des problèmes de santé
– prise en charge (PEC) et régulation des troubles du comportement
– répit pour les familles
– travail de séparation
– élaboration projet de vie ou de soins. Le médecin prescrit un programme, l’emploi du temps est signé, l’équipe pluridisciplinaire évalue la situation. Un staff hebdomadaire de l’équipe permettra de corriger la trajectoire en cours de séjour.
– Réunion de sortie en équipe pluridisciplinaire en présence du patient et de sa famille (ou référent)
Entre les séjours (si possible, deux séjours par an) le service garde le contact avec le patient et sa famille et les aide à constituer un réseau de soins.
La prise en charge, on l’a vu, est globale et pluridisciplinaire : médicale, psychiatrique (avec psychothérapie de groupe et individuelle), psychologique, diététique (pas d’accès libre à la nourriture, éducation nutritionnelle, alimentation diversifiée et équilibrée, pesée régulière) soignante (gestion de la vie quotidienne, administration des traitements…) éducative en particulier par le biais d’ateliers extra-pavillonnaires, rééducative (ergothérapie, psychomotricité, kinésithérapie) sportive (salle de sports, piscine ou bains de mer, equithérapie etc.) enfin sociale, avec l’aide d’une assistante sociale qui fait le lien entre l’établissement et la famille.
Le SSR travaille en lien avec l’environnement médical du patient, le centre de référence dont il fait partie au même titre que les hôpitaux toulousains et parisiens, les centres de compétence et l’association Prader-Willi France.
Il mène un travail de recherche neuropsychologique, génétique et clinique, contribue à l’élaboration d’un réseau de soins couvrant tout le territoire et offre aux familles et aux établissements qui bénéficient de ses conseils (soins, dépistage de problèmes latents, éducation thérapeutique) des temps de répit bien nécessaires et hautement appréciés.
Nicolette Ponsart
Que Denise Thuilleaux et son équipe trouvent ici l’expression de la reconnaissance des « vacanciers » et de leur famille.
Après la 15ème journée de Lyon…
Plus de 200 personnes, dont près de 150 parents et 30 Piwis (petit nom donné par le groupe fratrie aux personnes porteuses du syndrome), 25 professionnels et 22 frères et sœurs ont participé à la 15ème journée Prader-Willi France le 9 octobre 2010 à Lyon. Journée très riche avec des interventions de familles, de professionnels de santé et du secteur médico-social. Les « Piwis » se sont exprimés, à travers les interviews que vous pourrez bientôt retrouver sur le site de l’association. Le groupe fratrie s’était également réuni et nous a rejoints en fin de journée, apportant sa jeunesse et son dynamisme.
Rencontres, échanges, discussions … Beaucoup d’émotion. Il est difficile d’apporter une conclusion à une telle journée sans en appauvrir le contenu. Je retiendrai cependant les points suivants :
La variété des intervenants, bien au delà des familles et des seuls généticiens présents à notre première journée en 1996, témoigne de la nécessité et de la volonté de travailler en réseau, familles et professionnels, pour prendre en compte tous les aspects de la vie dans l’accompagnement de nos enfants. Travail en réseau exigeant qui demande des remises en cause de nos visions et de nos pratiques.
En introduisant cette journée, j’ai parlé de confiance, d’ambition et de modestie.
Modestie, car nous savons peu de choses sur ce qui se passe – dans la tête de nos enfants, nous connaissons mal leurs réelles capacités.
Confiance, car il nous faut avoir confiance en la vie, en ces vies à construire, si différentes des parcours classiques que nous connaissons.
Enfin, il nous faut aussi être ambitieux. Le chemin parcouru dans l’accompagnement de nos enfants nous y encourage.
Construisons ensemble un futur, dans le respect des différences.